Préparation physique - l'oeil de Kadour Ziani
Reportage lu dans BasketSession.com
Kadour n'est pas qu'un dunkeur.
Il a été également footballeur, athlète, spécialiste du saut en hauteur, et même volleyeur. Avec son approche d'éternel étudiant, toutes ces expériences lui ont donné une expertise qui explique sa longévité et qu'il partage volontiers, avec des joueurs pro notamment. A tel point que, l'été dernier, Kadour était appelé par Sylvain Lautié (coach de Levallois) pour l'aider dans son camp de préparation auquel participaient des joueurs comme Joseph Gomis, avant les Mondiaux, ou Mohamed Koné. Kadour revient pour BasketSession sur son rôle dans ce camp et nous livre son regard sur la préparation physique du basketteur.
Qu’est-ce qui a fait que Sylvain t’a appelé ?Il avait déjà fait appel à moi pour le camp SEJ à Vichy en 2004. Au départ, c’était pour faire une démonstration de dunks. Mais un jour, il m’a demandé un coup de main pour l’échauffement de Sacha Giffa. Et il a été surpris par 2 choses. La première, c’est que j’étais crédible aux yeux de Sacha parce que je connaissais mon sujet, je savais de quoi je parlais ! Il était tout de suite dans sa séance, ce qui est pas évident parce que les sportifs de haut niveau ne se laissent pas forcément driver comme ça par n’importe qui. Surtout que je n’ai pas les diplômes requis. En revanche, la plupart des joueurs connaissent mon parcours et savent ce que je fais avec la Slam, c’est-à-dire dunker depuis plus de 10 ans et encore aujourd’hui à plus de trente ans, et aussi au saut en hauteur, donc ils m’accordent un certain crédit.
La deuxième chose, c’est mon approche différente du travail physique. Hormis du gainage d’athlétisme ou de gardien de but, j’avais demandé à pouvoir travailler dehors, sur une pente, pour travailler les appuis, les cycles pieds, chevilles, genoux, jambes. Et il avait jamais fait ça. Après avoir établi le morphotype de Sacha, j’ai testé ses articulations et son état de souplesse, ses tendons. Et y en avait du KFC coincé là-dedans ! Donc, j’ai travaillé là-dessus, gainage, travail du bassin, et tout ce qui touche aux jambes, assouplissements, travail des appuis… Sacha était mort !
En fait, Sylvain n’a pas interrompu l’échauffement et nous a laissés toute la séance !
Quelle était ta fonction là-bas ? De quoi t’occupais-tu ?Il y avait 4 ateliers : shoots-adresse, travail de phases de jeu attaque-défense avec opposition un contre un, musculation et le mien, athlétisme, tonicité, détente, c’est-à-dire gainage, pliométrie, travail des appuis, des cycles des membres inférieurs, assouplissement.
J’avais aussi en charge le début des séances, l’échauffement général, et la fin des séances, les étirements, stretching, récupération.
Sur quoi souhaitais-tu faire taffer les joueurs ? Que voulais-tu leur apprendre ?Première chose, je voulais leur apprendre à être à l’écoute de leur corps. C’est important pour connaître ses limites et pouvoir les repousser, travailler jusqu’à fatigue maximale. Et ça permet de mesurer sa progression.
Je voulais aussi leur rappeler la mécanique toute bête du corps, la théorie, pour pouvoir mettre ensuite des exercices en pratique pour faire évoluer un mouvement. Parce que les joueurs ont des mauvaises habitudes depuis le début de leur carrière et il faut leur réapprendre les choses. Par exemple, certains ne savent pas courir, ils courent d’instinct, comme si ils se faisaient courser par les flics, sans utiliser leur mécanique. Alors je leur ai d’abord appris à marcher, puis courir, puis courir vite. J’entendais tout le temps "J’ai pas l’habitude de faire comme ça", alors je leur répondais "Et ben on va tout reprendre à zéro mon frère !".
Bien sûr, ils ont goûté à mes étirements et assouplissements, ma grande passion ! Je leur ai aussi fait comprendre l’importance de la respiration. Pendant et entre les exercices.
En fait, je voulais leur transmettre ma culture de l’entraînement. Leur montrer qu’il n’y pas de secret, qu’il faut s’entraîner tous les jours. Les résultats se voient dans la durée. Et je leur ai pris la tête sur l’hygiène de vie et le travail indirect ou silencieux, c’est-à-dire le repos, l’alimentation… Parce qu’il faut être cohérent, on peut pas être sportif de haut niveau et aller au Mc Do en sortant de la salle !
Quels sont les différents exercices que tu leur as fait faire ? Pourquoi as-tu sélectionné ces exercices ?C’est impossible de dire tout ce qu’ils ont fait ! La dominante dans tous les exercices: le gainage ! Le contrôle du placement du bassin, de la respiration, du centre de gravité. En travail de gainage pur, mon préféré est celui de l’araignée. En marchant ou en statique, en tenant la position plusieurs secondes sur 4 appuis, puis 3 et 2.
En cycles pieds, il faut toujours partir du particulier, le pied, au général, la jambe entière, en passant par la cheville et le genou. Je leur faisais faire des circuits pour trouver le bon geste mécanique, le bon appui. Par exemple, une succession d’appuis à cloche pied de part et d’autre d’une ligne. Des courses avant et arrière, des sprints…
Le travail de la tonicité se fait avec les mêmes exercices mais en les faisant de plus en plus courts et rapides. J’ajoutais des tiping, des suicides, des courses en montées de marche…
Je leur faisais de la pliométrie, qui travaille la mécanique du mouvement et l’élasticité musculaire. Le plus connu est celui du dossier sans chaise. Le dos appuyé contre un mur en position assise jusqu’à fatigue, on enchaîne ensuite avec des bonds. C’est "la" méthode pour un bon travail de détente !
Du travail d’équilibre aussi, avec des fentes, des passes à 10 en position accroupie avec un medecine ball.
Des exercices pour les articulations, comme courses talons-fesses, flexion-impulsion. Et pour les échauffements, pour se dérouiller, des montées et descentes de pentes en canard.
Pour les tendons, ils se pendaient à une barre, bien relâchés de haut en bas, à 2 mains puis à 1 main.
Enfin, je varie toujours dans mes entraînements en incluant d’autres sports. De l’escrime, de la boxe, du foot… Parce que ça permet d’insister sur des parties du corps que le basket ne sollicite pas, de travailler d’autres muscles. Et ça change, c’est plus ludique. Les gars travaillent mieux si ils s’amusent.
Le programme était-il le même chaque jour ?Non, pas vraiment, puisqu’on suivait une logique de montée en puissance. On s’adaptait par rapport aux avancées des gars et à leur état de forme. En restant toujours en cohérence entre les différents ateliers. Par exemple, je regardais l’atelier muscu, si ils bossaient les jambes, plus particulièrement les mollets, je travaillais ensuite sur les ischios. Il fallait varier pour ne pas saturer les membres sollicités et ainsi éviter les risques de blessures.
Le programme était-il le même pour chaque joueur ou adaptais-tu les exos suivants les personnes, les postes… ?J’adaptais en fonction des joueurs, de leur morphologie surtout. En gros, je faisais plus travailler les grands sur la coordination, les déplacements et les petits sur la tonicité. Les grands faisaient beaucoup de cycles pieds. Alors qu’avec les petits, je pouvais me concentrer sur les finitions, les détails à améliorer. Mais tous avaient droit au même programme d’assouplissements et d’étirements.
Est-ce que tu penses que les notions de pied, d’appuis, etc… sont des choses suffisamment travaillées par les basketteurs ?Pas du tout ! En fait, j’ai été surpris par le passif technique des joueurs. C’est comme si ils avaient démarré le basket et qu’ils étaient devenus pros sans travail foncier. On leur a mis une balle dans la main et on leur a appris le basket, c’est-à-dire le dribble, la défense, des systèmes de jeu… sans leur apprendre à placer leur corps, marcher, courir, sauter ! Le travail du physique est trop tardif et trop épisodique. Ils n’ont peut-être pas compris que c’est complémentaire au jeu. Certains placent leur corps tellement mal sur les positions de shoot que je me suis demandé si ils avaient commencé le basket l’année dernière !
Certains exos pouvaient surprendre. Comment réagissaient les joueurs ?Certains me prenaient pour un extraterrestre parce qu’ils avaient jamais fait d’ exercices comme ça ! Tout ce qui est nouveau dérange et fait peur. Ils arrêtaient pas de dire que c’étaient des trucs de fou ! Et ils me demandaient : "ça sert à quoi ça ?" ! À rien sur du court terme ! Alors je leur montrais et ils me disaient que c’était pour les ninjas ! C’est vrai que certains exercices demandent un placement, une position un peu bizarre, et ils étaient pas très à l’aise. En fait, ils avaient peur de mal les faire, de mal se placer puisqu’ils n’étaient pas habitués à ce genre d’exercices.
De manière générale, comment as-tu senti les joueurs ? Vraiment désireux de progresser sur tous les aspects ? Ou plutôt concernés que par le taf classique de shoot et musculation "classique" ?Les joueurs étaient vraiment impliqués. Ils étaient même contents qu’on leur fasse enfin travailler du gainage ou de la pliométrie par exemple ! Comme c’était nouveau pour beaucoup, ils étaient curieux et une fois passé l’effet de surprise de mes exercices de ninjas, ils étaient vraiment dedans. Et lors de la 2° semaine, ils étaient heureux de constater leur progression. Après, je leur ai dit de prendre ce qu’ils pensaient être bon pour eux. Chacun fait à sa sauce ! Mais c’est sûr que l’atelier shoot avait certainement plus de succès. On souffre moins !
Un joueur comme Joseph Gomis, avait-il un programme particulier, avait-il des demandes spécifiques ? Quelle était son attitude par rapport au taf que tu lui proposais de faire ?Joseph, c’est un véritable bosseur, il a une vraie soif d’apprendre. Il me disait toujours : "Montre-moi les exercices pour avoir les mêmes cannes que toi" ! Sylvain me demandait de le ménager un peu pour pas qu’il se blesse avant les mondiaux mais Jo me disait de pas l’écouter et de le faire bosser à fond !
Pour lui, je me suis concentré sur le travail des jambes. La tonicité, la rapidité pour l’attaque et les appuis pour être en position bien basse en défense. Et il voulait aussi retrouver son jump. Alors j’ai axé sur la corde à sauter, l’escrime avec des exercices de toucher-reculer, des circuits toniques sur des courtes distances et dans des petits espaces. Il a aussi travaillé ses tendons pour la souplesse. Il m’a dit que c’était seulement la 2° fois qu’on le faisait bosser de cette façon. Et la 1° fois, c’était lors d’un camp NBA.
Son attitude à l’entraînement est exemplaire. Il était dégoûté quand il arrivait pas à faire un exercice correctement ! Et il était heureux de souffrir, il savait que ça allait payer.